Interview de Renaud BIHLER

Renaud est l’un des piliers du club de parapente AERO-ZORN. Pilote chevronné, il est toujours là pour les autres (ce qui lui vaut de faire souvent le fusible) et encadre les sorties du club.

A-Z : Bonjour Renaud, merci de répondre aux questions d’AERO-ZORN. Quand est-ce que tu as commencé à voler ?

R : J’ai fait mon premier simili-vol en 1993, c’était un copain avec qui je faisais de la montagne, qui faisait aussi du parapente, qui m’a proposé d’essayer. La première fois que j’ai été soulevé par une voile, c’était sur l’aire de réception du tremplin de saut à ski de Chamonix. C’était avec une Astérion 927, 27 m², 9 caissons je te laisse imaginer le machin… Et puis j’ai fait comme tout bon débutant : dès que la voile a commencé à me porter, je me suis assis dans la sellette et j’ai terminé en glissade sur les fesses. J’ai dû voler deux mètres avec ce machin là. Il fallait énormément de pente pour décoller avec ces engins, ils avaient 3,5 de finesse (valeur permettant d’évaluer la capacité à planer d’un aéronef).

A-Z : Et comment as-tu continué ta progression ?

R : Nous étions plusieurs du club de montagne dans lequel j’étais qui voulions commencer le parapente, donc nous nous sommes inscrits à Airailes en 1994. J’ai commencé là-bas, j’ai fait mes premiers vols avec eux. Après j’allais souvent sur Chamonix l’été pour faire de la montagne, mes potes là-bas faisaient aussi du parapente et puis on a acheté des ailes d’occasion pour faire nos premiers ploufs (vols sans ascendance) à Chamonix. En plus un de mes copains était le fils d’un directeur d’une école de parapente à Chamonix, donc on avait droit à un petit briefing avant de décoller. De toute façon nous décollions tôt le matin avant que les thermiques s’installent, nous ne prenions vraiment pas de risques. Après j’ai acheté ma propre voile et j’ai beaucoup volé sur Chamonix puis à Annecy car des copains se sont installés là-bas.

A-Z : Avais-tu fait de la compétition ?

R : J’ai participé à deux compétitions mais c’est anecdotique, ce n’est pas trop mon truc la compétition. D’ailleurs cela ne l’a jamais été pour tous les autres sports que je pratique.

A-Z: Est-ce que tu peux nous parler des voiles avec lesquelles tu voles? et puis du partenariat avec la marque ?

R : Je suis simplement ambassadeur de Airdesign, l’idée est de faire connaître un peu la marque dans mon coin. Je n’ai pas de commission ou quoi que ce soit, le seul truc est que j’ai du matériel à prix préférentiel en tant que team pilote. J’ai accepté parce que ça fait longtemps que je vole avec des voiles de Stephan STIEGLER qui était concepteur chez UP avant et que j’ai eu un bon feeling avec Nicolas (COCHET), le représentant de la marque en France. A l’époque quand j’avais acheté ma première UP c’était une révélation, j’étais vraiment bien sous l’aile. C’est à dire qu’elles avaient un bon rapport performance sécurité et puis on les sentait venir, j’étais en phase avec ces ailes. Du coup lorsqu’il a créé Airdesign c’était assez naturel d’en acheter une et puis je n’ai jamais eu de mauvaise surprise. Même avec la Edge, une voile de 7,5 d’allongement, je me la suis prise une fois sur la tronche au-dessus du déco à Reinhard. J’ai fait 90° et elle était réouverte pourtant c’était comme si quelqu’un te prenait l’élévateur et te le claquait sur la cuisse. Avec une voile de sept et demi d’allongement je me suis dit : c’est bon, je vais faire une autorotation ! C’était bras hauts, je n’étais pas accéléré et ben non, elle a commencé à shooter, j’ai contré, et elle est ressortie sans cravate. C’était assez impressionnant ! (dans le sens facilité pour sortir de l’incident). Actuellement j’ai une Volt 3 que j’utilise plutôt l’été et dans les Alpes pour vraiment être serein. Je suis hyper bien dessous, je peux totalement me concentrer sur le vol, je ne m’occupe pas de la voile. J’ai aussi une Pure 3 qui est une deux lignes « gentille » avec laquelle je vole plutôt en intersaison et l’hiver mais c’est vrai que j’ai de plus en plus envie de voler avec. C’est agréable d’avoir une super pénétration face au vent et le pilotage d’une 2 lignes est quand même sympa… Après le côté sympa de la Volt est sa compacité et sa légèreté, pour marcher c’est le top, un bon rapport poids / performance.

A-Z : Peux-tu indiquer ton volume horaire annuel ?

R : Alors je ne vole pas tant que ça, j’avais regardé un peu les années précédentes et j’étais aux alentours d’une soixantaine d’heures. Je ne fais pas énormément d’heures parce que lorsque j’ai utilisé le potentiel de la journée, un créneau Reinhard. par exemple, je ne vais pas faire cinq aller-retour au château, au bout d’un moment ça me lasse. Mon but n’est pas de faire des heures mais de prendre du plaisir et le reste est un bonus.

A-Z : Alors justement, est-ce que tu peux nous parler de tes plus beaux vols, plus beaux souvenirs?

R : On va parler d’abord de mon plus long vol, c’était un vol au départ de Marlens près d’Annecy, un vol de 110 km. C’était un vol avec la Pure 1, c’est un vol mémorable car à plusieurs moments je me suis dit : je vais poser. C’était au printemps, il restait beaucoup de neige et entre le col des Aravis et l’extrémité des Aravis au-dessus de Sallanches je n’ai pas pris un thermique à l’aller comme au retour. J’ai juste eu du bol de pouvoir remonter au-dessus de la pointe Percée et ai fait un long glide pour le retour. Il y a un moment je me suis retrouvé à 2 mètres de la neige le long de la pente et je me suis dit : là si je pose, je suis quitte pour une bonne marche dans la neige profonde ça va être la galère. Ensuite j’ai retrouvé une ascendance, j’ai fait le tour des Bauges, je suis allé jusqu’à Chambéry et retour. C’était un beau vol et la barre symbolique des 100 km.

A-Z : Est-ce que tu l’avais fait seul ? L’avais-tu repéré avant ? Et l’avais-tu prévu avec des potes ?

R: Non, j’étais seul, ce n’était pas une journée exceptionnelle, j’étais souvent assez bas, plus bas que le relief et ça s’est vraiment allumé quand je suis arrivé à l’extrémité sud des Bauges où là j’ai pu remonter et rentrer assez facilement sur Annecy. ça s’est fait un peu comme ça, on tente le coup! J’avais le parcours en tête depuis un moment, mais ne l’avais pas trop prévu. Le fait que Noëlle (ma chérie) venait me récupérer si je posais dans la pampa a bien aidé à me libérer l’esprit et « tenter »… Merci ! ! !

A-Z : Peux-tu nous parler un peu du Mont-Blanc ?

R : Rires (…) Je ne voulais pas parler tout de suite du Mont-Blanc mais ça reste Le Vol (..)

A-Z : C’est un peu le graal du parapentiste !

R : Quand ça avait été fait quelques années auparavant, c’était un truc qui me faisait rêver. J’étais aussi alpiniste, le Mont-Blanc, je l’avais fait deux fois à pied, déjà en tant que jeune alpiniste c’était le graal. Après poser au Mont-Blanc en parapente était un rêve, et c’est vrai qu’une fois au sommet, j’ai eu du mal à réaliser. Je me souviens que je marchais au sommet sans réaliser, j’étais sur une butte en neige (…) C’est plus lorsque j’ai redécollé, fait le plouf pour redescendre que je me suis rendu compte en voyant les autres voiles au-dessus du sommet je me suis dit : p***** j’étais là-haut, c’est énorme.

A-Z : Et cette fois c’était prémédité je suppose ! ?

R : Rires (…) Non, non non là c’était prémédité clairement. Comme plein de gens j’avais vu les forums, j’avais vu qu’il y avait probablement la possibilité de poser au sommet. J’y suis allé le jour d’avant, j’avais fait une grosse partie du vol, j’étais allé jusqu’à l’Arête du Brouillard en Italie. J’étais calé dans le thermique mais c’était très très turbulent ce jour-là. Il fallait piloter tout le temps, j’ai vu des vracs (…) J’ai souvenir d’un gars au col de Miage qui a pris un vrac avec un M4, il a rouvert je pense qu’il n’avait pas 10 mètres sous le cul entre lui et la paroi. C’était chaud chaud chaud, du coup lorsque j’étais à l’Arête du Brouillard dans le thermique, je montais, il y avait des voiles au-dessus de moi et je voyais un nuage qui était sur le Mont-Blanc mais tu voyais que ça venait de l’autre côté. On était complètement sous le vent et là il y a un moment où je me suis dit stop, on arrête les bêtises. En plus j’étais jeune papa (…) tu réfléchis différemment et tu dis je rentre. Je me souviens que lorsque j’ai pris la décision, j’ai pris la direction du col de Miage pour repasser versant français et là j’ai vu un mec collé au Mont-Blanc, il devait être à 4600 m et qui s’est pris un vrac colossal avec une Enzo (voile de compétition). Il a rouvert, il est retourné à l’endroit où il s’était pris le vrac parce que ça montait un peu. Je me suis dit qu’il était fou… L’après-midi quand j’ai posé, j’étais rincé comme je n’ai jamais été rincé en parapente, j’étais rétamé ! J’ai failli rentrer…

A-Z : Pourtant le lendemain pas de problèmes, on y retourne

R : Oui, c’était une expérience très intéressante parce que le premier jour c’était le cauchemar et le deuxième le rêve. C’était incroyable. Le lendemain ça paraissait facile, presque trop facile.

A-Z : Tu l’expliques comment? Le vent météo?

R : Clairement je pense que le vent météo a énormément joué, il n’y en avait presque pas alors que la veille il y avait un bon trente km/h au sommet du Mont-Blanc. La remontée de l’arrête du Tricot c’était l’horreur, ça brassait, c’était péteux… Et le lendemain c’était juste incroyable.

A-Z : En plus tu as eu la chance d’être filmé, on voit que tu es le premier à poser.

R : C’est la cerise sur le gâteau ! C’était assez rigolo parce que quand j’ai posé en fait il y avait déjà des voiles étalées au sommet et dans ma tête c’était des mecs qui avaient posé au sommet. Quand j’ai posé je ne me suis pas du tout rendu compte que j’étais le premier à poser. Ce n’est que un ou deux jours après que ça a fait Tilt. C’était Cathy DEVOS qui était montée à pied avec Vincent SPRUNGLI et un client pour décoller du sommet et c’est elle qui m’a filmé. Donc la rédac en chef de parapente mag qui a filmé mon posé au Mont-Blanc c’est juste énorme, Rires, c’est juste hallucinant. C’est un souvenir incroyable, rien que d’en parler j’ai les poils qui se dressent.

Lien vers la trace du Mont-Blanc: https://www.xcontest.org/2012/world/en/flights/detail:RenaudBihler/19.8.2012/10:44

Vidéo du posé de Renaud sur le Mont-Blanc le 19 août 2012

A-Z : J’enchaîne sur Aero-Zorn, tu organises et encadres souvent les sorties, merci! Est-ce que tu as une formation ou est-ce ton métier qui fait que tu es à l’aise avec ça ?

R : C’est un peu les deux, de par mon métier j’ai une sensibilisation à tout ce qui est pédagogique c’est sûr. J’ai aussi passé les brevets de monitorat fédéraux et qualification biplace avec Airaile, c’était encore la FFP. Je ne les ai jamais fait valider par la FFVL parce que je ne les utilisais pas du tout. Après je n’ai pas envie de faire école, ce n’est pas ma tasse de thé, ce qui me motive plus c’est d’organiser des sorties (..) Quand à l’époque Claude avait repris la présidence, (on était déjà bien pote), on trouvait dommage qu’il y ait pas mal de pilotes qui volaient très bien en thermique, qui montaient bien, qui arrivaient à se refaire dans des petites conditions, qui volaient vraiment bien mais qui n’osaient jamais aller au château. Je trouvais un peu dommage de se limiter à rester en l’air sans essayer autre chose. C’est un peu ça, faire progresser les gens et dynamiser le club, qui nous a fait organiser une sortie et choisir Annecy. C’est un coin que je connais bien, c’est un super plan pour faire du cross, pas trop loin et c’est très beau. C’est le côté partage qui me tient à coeur, j’aime bien partager des bons moments avec les potes et puis quand tu vois les bananes à l’atterro après le premier tour du petit lac à Annecy, c’est juste génial.

A-Z : As-tu quelque chose à ajouter? Je ne sais pas, quelque chose que tu as envie de dire?

R : Le truc que j’ai envie de dire, c’est qu’au-delà des performances l’essentiel pour moi c’est de se faire plaisir. Il faut vraiment garder ça en tête, de voler pour soi pour se faire plaisir et pas voler pour pouvoir dire j’ai fait si, j’ai fait ça. L’expérience du Mont-Blanc a vraiment changé ma manière de voir les choses. Avant j’avais tendance à regarder les forums et puis me dire : ha merde ils ont super bien volé, moi je n’ai pas volé, je n’y croyais pas… L’expérience du Mont-Blanc d’avoir le vol cauchemardesque et juste après celui le rêve m’a ouvert les yeux et je me suis dit : Pourquoi tu voles? Lorsque j’ai fait demi-tour je me suis dit : là je vole sans plaisir pour pouvoir dire j’ai fait le sommet du Mont-Blanc mais ce n’est pas ça que je recherche en parapente. Il faut se faire plaisir !

A-Z : Merci Renaud ! Pour cette interview et pour ton implication auprès des autres parapentistes et du club. On espère tous pouvoir faire une belle sortie ensemble cet été.

Renaud en Volt
Posé à Reinhard
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