Interview de Bernard HECKMANN

Bernard est le nouveau recordman de distance en parapente à partir du site de Reinhardsmunster. Il porte la marque à 278km avec une vitesse moyenne de 33,5 km/h pour un vol de plus de 8h. Il est également le seul pilote à avoir réussi le vol Breintenbach – Treh – Breitenbach en respectant les zones aériennes et effectue régulièrement de gros vols de distances dans la région.

A-Z: Bonjour Bernard, merci de répondre aux questions d’AERO-ZORN. Quand est-ce que tu as commencé à voler et pourquoi?

B: J’ai fait mon premier vol en 1989 à Mundolsheim, le vol s’est limité à un gonflage et à descendre la pente pratiquement en la longeant mais à l’époque je faisais beaucoup de moto et j’avais d’autres activités. J’ai véritablement commencé en 1999 avec Grand Vol. Au début ça n’allait pas assez vite pour moi, mais je pense que c’est pareil pour tout le monde. J’ai acheté ma première aile l’année d’après en février. J’ai toujours fait énormément de gonflage, cela m’a toujours plu. Encore aujourd’hui le travail au sol me plaît, je trouve qu’on y apprend beaucoup, à maîtriser la voile, à gérer ses mouvements.

En 2002 j’ai fait un peu de compétition mais je n’aime pas attendre. Il fallait parfois attendre 2 h avant de pouvoir décoller et cela m’énervait. En plus mon travail ne me permettait pas de planifier les compétitions à l’avance, du coup j’ai arrêté d’en faire. Je pense que cela m’a un peu manqué ensuite pour voler plus vite.

Le parapente a toujours été une grosse passion et j’y ai sacrifié d’autres aspects de ma vie. Ce n’est pas évident de conjuguer vie familiale et parapente. A partir de 2005 j’ai changé de travail, je travaillais le weekend et j’étais disponible en semaine les après-midi. J’allais souvent voler à Breitenbach ou ailleurs, cela m’a permis d’accumuler beaucoup d’heures.

A-Z: Quel est ton volume horaire annuel en ce moment?

B: En moyenne à peu près 150 h depuis 2005, je fais entre 100 et 180 h par an. En plus des vols, j’aime bien faire du gonflage, notamment au Bastberg. Autour de chez moi j’ai plein de buttes avec toutes les orientations de vent ce qui m’a permis de beaucoup pratiquer. Au sol on apprend vraiment beaucoup, c’est important de gonfler y compris pour la sécurité.

A-Z: Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton record? Comment avais-tu préparé la journée? Quelle était la météo? Quels étaient les points durs?

B: J’avais repéré la journée dans la semaine, samedi nous étions au Bastberg, j’en avais parlé autour de moi, les prévisions étaient vraiment bonnes. Le vent était prévu fort derrière Reinhardsmunster entre 30 et 40 km/h, j’avais proposé à Renaud et Stéphane de m’accompagner mais personne ne voulait suivre.

En fait ça avait commencé en milieu de semaine, j’avais fait un peu de gonflage et de paramoteur à Grassendorf. Cela a été l’occasion de discuter avec Babar des zones aériennes qui sont complexes dans le secteur. Sur son conseil j’ai appelé Marin qui travaille à la tour à l’aéroport d’Entzheim en vue de préparer le vol. Il m’a expliqué quelles zones je pouvais désactiver sur mon GPS au cas où elles ne seraient pas actives afin d’éviter des alarmes inutiles pendant le vol et de faciliter le guidage. Cela m’a permis de préparer le vol samedi soir et de bien définir le couloir par lequel je pourrai passer tout en respectant les TMA de Strasbourg et Sarrebourg.

Vendredi soir j’appelle les bases de Phalsbourg et Nancy et m’assure qu’il n’y aura pas d’activités mais ils m’informent qu’il faudra les rappeler le jour même. Dimanche matin je les rappelle et peux désactiver les zones R150 et R164.

AZ: Quand je t’écoute j’ai l’impression que le gros problème était les zones et pas la météo et le vol.

B: Oui, c’est essentiellement les zones ! Enfin ça a très mal marché au début, la journée avait mal commencé ! J’avais tout préparé, mon sac avec de la nourriture et de l’eau, je prépare toujours mon sac de la même manière afin de ne pas avoir de tour de sellette en dépliant. En partant ça sent le brûlé dans la voiture, en sortant de Reinhardsmunster la lunette arrière explose, gros coup de stress! Stéphanie qui m’accompagnait me convainc de monter quand même au décollage. Je voulais décoller très tôt vers 10h mais j’avais déjà perdu une demi-heure avec cette histoire. Après, au moment de décoller, la voile au-dessus de la tête, je m’aperçois que j’ai un tour de sellette ce qui ne m’arrive jamais. Enfin bref, j’étais stressé comme tout! Après avoir défait mon tour de sellette je décolle et n’arrive pas à m’extraire pendant une heure et demie (s’extraire consiste à monter le plus haut possible afin de pouvoir partir vers la prochaine ascendance). A un moment donné je reviens sur Reinhardsmunster pour poser, il y en a marre, rien ne marche aujourd’hui ! C’est à ce moment que je trouve un bon thermique que je ne peux pas enrouler jusqu’au bout à cause de la TMA. A partir de là je me lance derrière la crête du décollage, cette partie n’est pas évidente car il y a beaucoup de forêt et peu d’endroits où poser. Je visais les clairières au cas où, mais cela le faisait assez bien, je n’ai pas eu de points bas. Une fois sorti des zones aériennes, j’ai pu monter à 2500 m, là ça marchait bien jusqu’à Baccarat où je fais un point bas.

A-Z: Et tout ça sans nuages?

B: Il y avait quelques petites barbules au début, à Baccarat un vrai nuage s’est formé et m’a permis de me recentrer dans l’ascendance puis j’ai commencé à descendre au-dessus de la ville. J’ai continué derrière, c’était assez turbulent et le vent était très fort, j’étais quasiment arrêté face au vent et je me suis engagé au-dessus d’une forêt en suivant une ascendance, c’était assez chaud. Après c’est bien remonté, j’ai fait un gros plafond et je me suis dirigé de façon à rester dans le couloir entre les zones aériennes d’Epinal et de Nancy. Je me suis orienté en fonction des forêts et des champs de blé et n’ai plus fait de gros point bas. Ensuite j’ai suivi l’autoroute reliant Nancy et Dijon et ça commençait à descendre car c’était assez plat. J’ai vu une petite butte au loin, pas très haute, comme le Bastberg, je me suis dirigé dessus et ai pu remonter à partir de là. J’étais à 400 m sol sur ce deuxième point bas.

A-Z: A quel moment as- tu commencé à croire au record ?

B: Oh ben à un moment tu vois bien les Vosges, St Dié, le lac de Pierre-Percée et punaise ça n’avance pas ! C’est long ! Puis le temps passe, tu continues à avancer… J’étais de temps en temps au téléphone avec Stéphanie qui me suivait en voiture. Elle me suivait sur google maps. Je l’avais appelée à Baccarat, elle pensait me récupérer là-bas. Elle regardait de temps en temps où j’étais sans jamais réussir à me rattraper. Ensuite j’ai eu de la chance je crois, car on est vite en bas, et j’ai pu poursuivre mon vol.

A-Z: Alors est-ce que tu vas essayer de battre ce record ou tu vas attendre qu’un Grégory Blondeau énervé le reprenne ?

Je pense que ce sera encore plus compliqué, ils ont encore ajouté une zone, une réserve naturelle. Il faudra se renseigner pour savoir à quelle altitude la survoler. (..) Oui bien sûr j’essaierai de repartir mais le gros problème est aussi la récup (le retour). J’ai eu de la chance que Stéphanie vienne me chercher, si tu travailles le lendemain tu ne pars pas aussi loin, je reprends à 3 h du matin. J’ai eu de la chance de ne pas travailler de samedi à lundi. Il faut vraiment que tout soit réuni pour faire un gros vol. Il faut que ça tombe un weekend à cause des autorisations pour traverser les zones aériennes. (..) J’ai eu une bonne année l’année dernière, j’ai également fait de beaux vols dans les Alpes dont un de 200 points qui m’a été refusé à cause d’une erreur dans XCTrack (GPS dédié au parapente).

A-Z: Merci Bernard d’avoir pris le temps de répondre à mes questions. Est-ce que tu aurais un conseil à donner pour quelqu’un qui veut faire du cross?

B: Toujours essayer ! Au départ mon objectif était d’être toujours le plus haut pour mieux exploiter le thermique. En regardant les bons pilotes comme Djordje, on remarque qu’ils ne manquent jamais une occasion de partir. Il faut tenter, tenter ! Il faut essayer, mettre une pancarte dans le parapente pour le retour. C’est aussi un truc à apprendre, le stop, j’ai beaucoup marché au début puis tu apprends où te placer pour être pris. Il faut se lancer !

Un grand merci pour cette interview, Bernard, j’espère ne pas trop avoir déformé tes propos.

La trace du record de Reinhardsmunster:

https://www.xcontest.org/2020/world/fr/vols/details:HeckmannB/12.7.2020/08:55

Le vol Breit-Treh-Breit:

https://www.xcontest.org/2019/world/fr/vols/details:HeckmannB/2.6.2019/11:48

Un beau vol du bastberg:

https://www.xcontest.org/2019/world/fr/vols/details:HeckmannB/13.7.2019/13:21

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